The environmental regulation of digital technology : a legal critique of the “twin transition”
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Par Aude-Solveig Epstein. Conférence donnée le 13 mai 2025, lors du séminaire public du groupe de travail Politiques environnementales du numérique du GDR 2091 Internet, IA et Société.
« This article critically examines EU legislative efforts within the twin transition framework, focusing on the role of environmental law in enabling society’s digitalization and reducing nature to mere data. It argues that, for the twin transition to move beyond a political slogan and yield tangible ecological benefits, profound legal reforms are essential. »
Le concept de transitions jumelles
L'Union Européenne se dirige vers une optique de "transitions jumelles", c'est-à-dire une réalisation en parallèle d'une transition écologique et d'une transition numérique. Cela se caractérise par la mise en place de politiques environnementales pour apporter une réponse à la crise écologique, mais aussi le développement des infrastructures numériques et des réglementations associées.
Cependant, le droit est un facteur rarement pris en compte par les études sur le sujet. Les juristes spécialisés dans le numérique manquent de connaissances, et ceux spécialisés dans l'environnement manquent d'intérêt pour la question des "transitions jumelles".
Une tendance "écomodernisatrice"
Les politiques environnementales s'appuient de plus en plus sur des données numériques, à un niveau tel que les politiques environnementales semblent devenir des politiques de la donnée.
Cela amène à l'émergence d'une tendance "Écomodernisatrice" : L'innovation technologique est la solution à la crise climatique, et le droit se devrait de la mettre en avant. Elle se caractérise par deux axes :
Une réticence à restreindre le progrès technologique, surtout dans le numérique
La promotion de la numérisation (pour obtenir et mobiliser des données dans le domaine environnemental)
En conséquence, les limitations technologiques sont très peu nombreuses, et la législation encourage une autorégulation avec obligation de transparence de la part des entreprises sur les impacts environnementaux.
Exemple : Les data centers avec une puissance de plus de 500 kW doivent publier chaque années leurs impacts environnementaux, les encourageant à se munir d'outils de monitoring. En revanche, il n'y a aucune limite imposée.
L'UE souhaite conserver une bonne compétitivité des entreprises sur le marché mondial, c'est pourquoi les législations sont frileuses et se concentrent sur l'existant tout en continuant de promouvoir le développement des infrastructures numériques.
Une approche par le marché
La logique employée par l'UE est celle de l'information : plus les différents acteurs sont informés (grâce aux outils numériques), plus ceux-ci vont pouvoir réaliser les bons choix.
Cependant, on constate une place importante de la compensation écologique dans les mesures mises en place.
De nouvelles tendances organisationnelles
La perception du concept d'entreprise s'est transformée avec le temps
Avant, l'entreprise était vue comme un organisme avec ses différentes parties, notamment le cerveau qui prend les décisions.
Désormais, l'entreprise est assimilée à un ordinateur ou à une IA. Celle-ci évoluerait via un apprentissage réflexif sur des données, pour s'améliorer petit à petit. Le rôle de la législation serait alors de "paramétrer" l'entreprise, en orientant son apprentissage.
L'objectif est d'entrer dans une boucle de rétroaction positive qui améliorerait la société petit à petit. Cela passe par une ouverture des données et une tendance à la numérisation.
Critiques des "transitions jumelles"
L'augmentation de la quantité de données apporte une dimension politique qu'il est crucial de considérer. D'où proviennent les données ? Comment décide-t-on de la manière de les utiliser ? Comment et par qui est géré l'accès à celles-ci ?La législation européenne est actuellement très peu performantes sur ces points.
Cependant, les pouvoirs publics ont tendance à refuser de légiférer sous prétexte d'un manque de données ou d'informations. Par exemple, l'Agence états-unienne de protection de l'environnement refuse d'utiliser les émissions de méthane comme un critère du réchauffement sous prétexte que son impact n'est pas suffisamment bien caractérisé.
Mais n'est-ce pas là le rôle des pouvoirs publics de faire avec et de trancher et de prendre une décision malgré des données insuffisantes ?
Les données environnementales devraient être librement partagées, selon la logique des communs.
La massification des outils numériques pourraient avoir un coût encore plus important que ce qu'elle apporte. L'exclusion d'alternatives aux solutions numériques peut provoquer une concentration de l'économie autour de quelques acteurs. Les voix dissidentes seraient repoussés, entraînant une hausse de la surveillance. Enfin, la responsabilité environnementale serait déplacée des producteurs vers les consommateurs en refusant de transformer les pratiques de production.
Glossaire
Glossaire
Transitions jumelles : Politique de l'union européenne à vouloir opérer en simultané une transition écologique et une transition numérique.
Écomodernité : Tendance consistant à favoriser l'innovation technologique comme solution à la crise climatique, en l'encourageant au maximum. (~ technosolutionnisme)
Meilleure technologie disponible : Le concept de "meilleure technologie disponible" désigne la solution technique la plus efficace pour répondre à un problème à un instant T, sur laquelle se base les réglementations et les objectifs.
Procrastination écologique : Report d'une décision sur l'environnement sous prétexte d'un manque d'informations, de données.
Compensation : La compensation écologique désigne le fait de, lorsque les conséquences écologiques d'un projet sont inévitables, de contrebalancer les impacts négatifs à un endroit par une action "vertueuse" à un autre endroit. Par exemple, raser une forêt pour construire une autoroute et compenser en replantant des arbres ailleurs.
RegTech : La "Regulatory technology" est l'utilisation de données et d'informations pour améliorer le processus de régulation et s'accorder à la législation.
Lectures complémentaires
La Contamination du Monde de F. Jarrige et T. Leroux : https://www.seuil.com/ouvrage/la-contamination-du-monde-francois-jarrige/9782021085761
La Vie Sociale des Haies de Léo Magnin : https://www.editionsladecouverte.fr/la_vie_sociale_des_haies-9782348082658
Anna Beckers, Global value chains in EU law, Yearbook of European Law, 2023, 42 : https://academic.oup.com/yel/article/doi/10.1093/yel/yead010/7475987?login=false