L'Adaptation & l'Exaptation - Cité maraichère de Romainville

Concept d'adaptation et d'exaptation

Dans le chapitre 5 du manuel "Prendre soin des milieux", écrit par Guillaume Carnino et Laurent Heyberger, sont abordés les concepts d'adaptation et d'exaptation.

En biologie, l'adaptation est le développement d'un nouvel organe ou caractère, dans le but d'acquérir une nouvelle fonction donnant à l'individu qui la possède un avantage par rapport aux autres. Autrement dit c'est "la fonction qui crée l'organe".

A l'inverse, l'exaptation, qui intervient après le processus d'adaptation, est le développement d'une nouvelle fonction conférée par un organe ou caractère qui n'était pas présent pour cette fonction initialement. Cette fois-ci, c'est "l'organe déjà présent qui crée la fonction". Le processus d'exaptation ne s'étudie qu'après la massification du nouvel organe ou caractère, une fois que celui-ci s'est suffisamment répandu dans la population.

Prenons un exemple : l'apparition des plumes chez les animaux. A l'origine, le phénomène d'adaptation a conduit à l'apparition de ces plumes à l'ère des dinosaures, dans le but d'améliorer leur régulation thermique et leur protection face au milieu extérieur. Plus tard, ces plumes, qui étaient alors déjà présentes chez les animaux concernés, ont permis à ces derniers de voler. Ainsi, les plumes n'ont pas été inventées dans l'objectif de voler, mais c'est l'exaptation qui a conféré une nouvelle fonction à cet organe déjà existant.

Nous pouvons alors transposer ces mécanismes d'adaptation et d'exaptation à l'histoire des techniques, dans laquelle ces phénomènes sont courants. En effet, "Toute technique qui se développe à l’échelle d’une société entraîne des formes d’exaptation." (Chapitre 5, p 154).

Un autre exemple, cette fois-ci d'une invention technique, est le développement de l'automobile. En effet, les premiers modèles ont été conçus uniquement pour être des "calèches sans chevaux". Aujourd'hui, la voiture a complètement transformé l'économie ainsi que l'organisation urbaine : cette invention a exapté la possibilité pour les villes de s'étaler, tout en permettant à ses habitants de parcourir le trajet entre leur domicile et leur lieu de travail.

Présentation du cas et problématique

La cité maraîchère de Romainville est une ferme verticale de production maraîchère, qui produit de saison et localement, sans tomber dans l'aspect "hypertechnologique" d'autres types de fermes verticales. De plus, la cité maraîchère de Romainville a pour objectif de sensibiliser et d'éduquer ses utilisateurs sur les enjeux sociaux liés à l'alimentation durable et de qualité. Les prix des produits sont calculés selon les revenus des consommateurs et leur quotient familial, réduisant les inégalités d'accès à une nourriture saine. La cité maraîchère de Romainville créée également des emplois locaux et des travailleurs en insertion y sont formés.

Nous pouvons alors nous demander les questions suivantes : quels seront les impacts possibles de la massification des fermes verticales sur le modèle de Romainville ? Qe pourraient-elles exapter dans les milieux ?

Application des concepts au cas étudié

Nous allons à présent relier les concepts d'adaptation et d'exaptation, présentés ci-dessus, à l'exemple de ferme verticale étudié.

Dans un premier temps, l'invention des fermes verticales comme celles de Romainville a été pensée dans le but d'amener l'agriculture en ville : il s'agit de l'adaptation.

Pour étudier les exaptations possibles des fermes verticales sur le modèle de la ferme de Romainville, nous nous plaçons dans un futur hypothétique où ces dernières se sont massivement développées (à l'échelle mondiale, voire nationale) et que ce mode de consommation a été adopté par les citoyens.

Tout d'abord, si les fermes verticales comme celles de Romainville se massifient, cela pourrait avoir un impact sur les modes de production actuels des aliments. En effet, l'agriculture urbaine serait alors beaucoup plus développée que l'agriculture en pleine terre, et pourrait même remplacer cette dernière. Les produits cultivés seraient uniquement de saison et adaptés à l'emplacement géographique de la ferme : cela aurait pour impact de réduire les consommations en ressources (eau et électricité pour l'éclairage) et les émissions de gaz à effet de serre.

Les habitudes de consommation seraient également bouleversées : les citoyen·es se rendraient dans la ferme verticale la plus proche et feraient leurs achats de fruits et légumes dans celle-ci et non plus dans les grandes surfaces, comme c'est le cas pour la plupart actuellement. Ces supermarchés pourraient alors ne plus vendre aucun produit végétal pouvant être cultivé en ferme verticale, ce qui permettrait de consommer plus localement, et par la même occasion de réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au transport des aliments, puisque seuls les consommateurs se déplaceraient.

Le projet de la cité maraîchère de Romainville ayant une portée sociale, les futures fermes verticales pensées dans le même objectif pourraient permettre à leurs utilisateurs de prendre davantage conscience des enjeux sociaux et environnementaux liés à l'alimentation. En effet, ils auraient la possibilité de se renseigner dans une ferme verticale, qui serait alors un lieu de sensibilisation et d'apprentissage pour toutes les générations.

Les inégalités d'accès à une nourriture saine et de qualité seraient également réduites, voire auraient totalement disparu dans le meilleur des cas, car les fermes verticales proposeraient des aliments à des coûts adaptés aux revenus de chacun, comme le fait la cité maraîchère de Romainville actuellement.

Cependant, la multiplication des fermes verticales sur le modèle de Romainville pourrait aussi avoir des impacts plus négatifs. Par exemple, les projets de fermes verticales devant être financés par des investissements importants, cela pourrait attirer de grandes entreprises ayant pour objectif de créer un monopole sur ce secteur. Néanmoins, la cité maraîchère de Romainville ayant été financée en partie par des pouvoirs publics, on peut imaginer que le monopole dans ce secteur pourrait être réduit si les autres projets de fermes verticales étaient financées ainsi.

De plus, si les fermes verticales se développent au point de remplacer totalement l'agriculture en pleine terre, cela pourrait mettre en péril les activités des plus petits producteurs indépendants, car les fermes verticales proposeraient sûrement des prix plus attractifs.

Enfin, les fermes verticales utilisent des technologies permettant de contrôler au mieux l'environnement de croissance des aliments (différents capteurs permettant de contrôler les ressources en eau et l'éclairage) nécessitent de l'énergie. Cela pourrait créer une dépendance à envers ces ressources, et un dysfonctionnement de l'approvisionnement en électricité ou en eau aurait des conséquences importantes sur l'alimentation des consommateurs.

Ouverture

Cependant, même si l'on s'efforce de penser en amont à toutes les conséquences possibles d'un projet ou d'une innovation, en l'occurrence de la construction d'une nouvelle ferme verticale, il ne faut pas oublier d'adopter une certaine humilité face à la technique. En effet, il faut prendre en compte le fait qu'on ne peut jamais tout prévoir et ne pas penser qu'une invention va "révolutionner le monde" dès sa parution. Ainsi, toutes les hypothèses que nous avons énoncées plus tôt sur les conséquences possibles de la massification des fermes verticales peuvent ne pas du tout se réaliser comme telles, et nous pourrons voir apparaître d'autres aspects auxquels nous n'avions pas pensé et que nous n'avons donc pas développés. Dans cette même idée, Guillaume Carnino et Laurent Heyberger écrivent "[...] l’être humain crée des dispositifs pour répondre à des demandes historiquement et culturellement situées, mais une fois ceux-ci massifiés, les usages qu’ils autorisent et le monde qu’ils ouvrent s’avèrent invariablement très différents de ce pour quoi ils avaient été initialement pensés." (Chapitre 5, p 152).

Nous pouvons également souligner l'importance des effets d'échelle. En effet, construire une ferme verticale unique n'aura pas le même impact que la massification de ce nouveau mode de production et de consommation : "Tout acte technique [...] pose des questions nouvelles et requiert des infrastructures inédites lorsqu’il est pratiqué à échelle industrielle. Produire une technique et rendre une technique scalable sont deux opérations différentes." (Chapitre 5, p157-158).