Delphine Hyvrier, 2021

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Delphine Hyvrier. "Nous avons perdu notre lien à la nature" : le mythe de la faute des modernes ?. Azimuts, 2021, 54, p.16-38. ⟨hal-04015736⟩

Prenant comme point de départ la perte de relation à la nature des humains, l'article propose de remettre en question l'idée que la modernité découlerait nécessairement d'une opposition entre nature et culture en examinant les écrits d'architectes et designers modernes,. La sensation de perte de lien avec la nature découlerait-elle d'un avéré mépris du vivant des hommes ayant façonné la modernité, ou de leur déconsidération de représentations culturelles de la nature de groupes sociaux autres que le leur ?

L’Homme et la nature, deux entités distinctes

Le Covid et le confinement, lorsque la nature « a repris ses droits » nous a fait prendre conscience de la mise à distance entre nous et la nature. En effet, nous prenons davantage de place au détriment de la faune et de la flore en instaurant notre domination, c’est la théorie de l’anthropocène, une nouvelle ère géologique caractérisée par un impact significatif des humains sur la planète.

Cette manière de penser, le fait que l’Homme et la nature sont deux entités bien distinctes remontent à la période des Lumières. La nature est représentée comme «la multitude muette et matérielle des objets» contrairement aux Hommes qui sont des sujets.

Mais pas sans liens :

Bien que différenciés, ils existent tout de même de forts lien entre Homme et nature. La nature est depuis toujours une des principales sources d’inspiration pour l’Homme. Le Corbusier par exemple, un architecte fasciné par le béton à l’origine de nombreux logement collectif comme à Marseille prend la nature et son harmonie comme modèle. Ainsi il ne la considère pas comme un ensemble de choses passives mais comme une « inspiration spirituelle ».

Une séparation qui permet la domination de l’Homme

Même si elles s’inspirent de la nature, les villes sont tout de même la représentation de cette absence de lien entre l’Homme et la nature. Nous pouvons nous demander si les architectes ont eu les informations nécessaires sur ces problématiques d’écologie. Mais depuis 1850, Elisée Reclus notamment accuse les industriels et les agriculteurs d’abimer les paysages.

Ce phénomène de mise à distance et donc de domination est accentué par les objets techniques. A Oléron par exemple certains chercheurs établissent un lien entre la surpêche et la création de la ligne TGV, il y en a effet depuis la création de cette ligne la volonté d’exporter au-delà des territoires de proximités.

La nature , un concept mouvant :

Selon l'époque :

Il est intéressant de noter que ce que l’on distingue comme nature varie d’une époque et d’une culture à l’autre. Les parcs nationaux en sont un bon exemple, aujourd’hui utilisés pour préserver la nature, ils ont été créés pour raviver le sentiment patriotique des citoyens par la beauté de ces paysages. Mais aussi pour raviver les qualités viriles de l’Homme au contact de la nature sauvage. Un autre exemple concerne l’éradication sous l’Allemagne nazi de la flore considérée comme étrangère afin de recréer le mode de vie de la race aryenne. Aujourd’hui certains agriculteurs s’installent avec cette même volonté de cultiver des semences locales et n’ont vraisemblablement aucun lien avec le mouvement nazi mais plus une volonté de conserver les traditions et les pratiques locales.

Selon notre culture :

Selon William Cronon « nous rencontrons la nature par le biais de nos croyances et de nos institutions culturelles ». la nature est donc un concept mouvant. Nous pouvons ainsi nuancer l’exemple sur le Corbusier et son lien avec la nature, c’est en effet sa représentation de la nature qui l’inspire. La nature n’est ici pas quelque chose de tangible mais « un mot valise portant nos interprétations culturelles ».

Réfléchir à nos modes de vies et notamment au sujet d’habitations plus respectueuses de la nature implique de repenser notre concept de la nature et surtout d’avoir conscience que c’est la vision de la nature de l’architecte par exemple qui est utilisée pour imaginer certains quartiers. « Aménager sans considérer les facteurs socioculturels, c’est risquer d’établir la transition écologique selon les termes d’une seule morale de classe »

Intérêt du texte

Ce texte nous pousse à comprendre que les problématiques sur notre lien au vivant sont complexes. Ainsi des efforts d’imagination sont nécessaires pour prendre un maximum de paramètres en compte afin d’avoir une multitude de relations riches et variés avec le vivant.