Abrassart, 2020

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ABRASSART, Christophe, 2020. Gouverner par des instruments Low-Tech en Anthropocène : quels potentiels face au scénario de gouvernementalité éco-algorithmique ? La Pensée écologique [en ligne]. 2020. Vol. 5, n° 1, pp. 12‑12. DOI 10.3917/lpe.005.0012. Disponible à l’adresse : https://www.cairn.info/revue-la-pensee-ecologique-2020-1-page-12.htm

Quelle sera la place de la technique et particulièrement du numérique dans le pilotage de la reconstruction écologique ? Avec l’aggravation des enjeux écologiques (climat, biodiversité, inégalité environnementales…), le xxie siècle sera-t-il le cadre d’une controverse inédite entre d’une part les tenants d’une gouvernementalité éco-algorithmique s’appuyant sur les données, les techniques d’apprentissage machine, la 5G et l’internet des objets pour orienter les comportements, et, d’autre part, les tenants d’une démocratie participative fonctionnant par assemblées délibératives pour concevoir et planifier collectivement la reconstruction écologique ?

Technisation des modes de gouvernement

Le texte soutient que l'écologie politique a eu pour but de chercher des raison à notre crise actuelle dans le fonctionnement des modes de gouvernances plutôt que dans la technique. Cela signifie qu'au lieu de remettre en question la technique ils remettaient en question son usage (une utilisation différente de la technique dans une société capitaliste et communiste). Cependant aujourd'hui cette ligne de partage pourrait évoluer avec la technicisation croissante des pratiques gouvernementales et organisationnelle. Ainsi la technique qui était considéré comme un objet de gouvernement, deviens alors un statut de mode de gouvernement.

Deux visions de gouvernement de la technique diamétralement opposées

Si on se place du point de vue des objets techniques pour analyser la gouvernance, alors la conception collective et prospective d’un plan de reconstruction écologique d’une ville ou d’un territoire ressort d’une logique et de raisonnements très différents de ceux d’une gestion environnementale par algorithmes sur ce même territoire. Le texte apporte, alors, deux visions opposées pour tenter d’anticiper ce que pourraient être les termes du débat à venir sur les régimes de gouvernement en Anthropocène (lowtech vs hightech).

Eco-algorithmique de l’effet rebond une idée innovante ...

Dans la première hypothèses l'auteur propose une image des Géants de la tech offrant leur capacités de surveillance pour contrôler les quottas carbones individuels. Ils proposent de faire l'équivalent du « Social Credit System » existant en Chine mais pour l'écologie afin de forcer les personnes à réduire leur consommation de GES, via un système de récompense/recommandation.

Cette gouvernementalité est alors éco-algorithmique et porte sur la domestication, par algorithme, des aléas comportementaux contribuant à la crise écologique. Cela conduirait à intégrer une probabilité d’effet rebond d’un individu (comme des tribunaux calculant un risque de récidive), pour ensuite réorienter ses comportements par des incitations « douces » ou plus contraignantes et imperceptibles, comme la modification de l’espace des choix qui lui est transmis (par exemple les trajets possibles sur un territoire suggérés par une application de navigation, ou la composition d’un menu à l’aide d’un « frigo intelligent »).

Cependant un tel dispositif aurait également un effet d'aliéner les sujets par leur incapacité de comprendre le mode de production de l’espace des choix, et par l’impossibilité de le critiquer ou de l’enrichir par la conception d’alternatives

..... Mais dépendantes à un univers technique avancé ...

Pour fonctionner un tel mode de gouvernance aurait besoin d'une infrastructure immense et des technologies toujours plus poussées. Même si on pourrait dire que ce ne sont pas quelques applications de gestion de l’environnement qui sont la cause de cet impact croissant, mais des usages de loisirs (streaming, jeux vidéo, marketing expérientiel, internet des objets etc.). Toutefois un dispositif de gouvernementalité éco-algorithmique aurait besoin de tout l’écosystème des objets connectés et de la 5G pour pouvoir passer d’un système d’orientation des opinions sur les médias sociaux à un système d’orientation et de rationnement des conduites dans le monde des objets. Le remède est donc ici indissociable du problème.

..... Et contribuant à l'effet tunel.

Les démarches de gestion algorithmique des enjeux environnementaux, rassemblées sous le nom de « AI for Earth » (« l’intelligence artificielle pour la planète ») opèrent une problématisation restrictive et limitée de la gestion environnementale selon une logique de calculabilité. Ainsi il n'y a pas de remise en question des besoins ou encore de vision systémique globale. Cela peut conduire à une pression excessive sur les individus en masquant l’inadéquation des infrastructures. Ainsi, pour minimiser l’empreinte carbone d’un trajet vers l’école, plutôt que de suivre une application comme Waze qui optimisera le trajet en automobile, la modification des infrastructures urbaines par l’installation de trottoirs et de piste cyclables sécuritaires pour les enfants permettrait un gain beaucoup plus significatif en réduction de GES.

Une autre alternative, la Lowtech un outil ...

Le but du Lowtech est de prévenir tout retour à une société destructrice de l'environnement en changeant les moeurs en profondeur. En effet dans une société éco-algorithmique nul besoin aux personnes de s’appuyer sur une éthique environnementale ou sur une motivation personnelle. Mais dès que cette gouvernance disparaît, sans transformation de soi ou réorganisation collective, les effet écologiques désastreux peuvent repartir aussitôt.

Trois mécanismes peuvent être envisagés dans cette perspective. En premier lieu, l’adhésion volontaire et réflexive à une règle environnementale, à des valeurs de sobriété et de soin allant dans le sens d’une éthique des vertus. Ensuite, la maîtrise de l’effet rebond peut se renforcer par un savoir manuel, une habitude pérenne, un rythme autonome soutenant une manière de vivre en sobriété matérielle. Enfin, cet effet rebond peut être distancé par l’attachement aux choses qui nous entourent et le développement d’une relation éco-poétique aux objets. le premier mécanisme correspond à la justification, avec la promesse de contribuer au bien commun, le second ressort d’un engagement dans l’action en plan, qui vise la satisfaction d’une action accomplie, et le troisième, d’un engagement familier produisant une satisfaction liée à l’affection pour des choses ou des proches. Mais pris séparément, ils ne sont pas infaillibles, ils doivent être imaginés ensemble.

... Considérant les humains ...

Quand la gouvernementalité éco-algorithmique restreint le calcul du probable sur un jeu d’options fixe et donné d’avance, les démarches de conception Low-Tech peuvent enrichir et régénérer démocratiquement l’espace des choix. le Low-Tech ne place donc par l'individu en tant qu'un individu à contrôler par des algorithmes afin qu'il fasse des choix censés. Mais en tant qu'acteur qui peut constituer un partage d'une écologie très créative qui collectivement est générateur de possibilités multiples.

... Et créative d'imaginaires.

A l'opposé du technosolutionnisme, ce que seul peut faire le Lowtech comme instrument, par la réflexion et la délibération collective, c’est d’imaginer un fonctionnement élargi des communs pour la reconstruction écologique. Tout d’abord en suivant la perspective des « inconnus communs », lorsque le bien commun à gérer n’est pas a priori clairement délimité et nécessite préalablement une démarche de conception collective, ce qui est par exemple le cas avec le défi d’inventer une vie désirable à 1 tonne de GES par habitant par an en 2050. Ensuite, l’extension pourrait porter sur les « communs négatifs », car dans ces quotas de carbone ou de matière/énergie entrent en conflit des « émissions de projet » et des « émissions héritées », par exemple des infrastructures à hydrocarbures résultant de choix des sociétés passés que doivent gérer les nouvelles générations.

Intérêt du texte

Ce texte permet de concevoir différents futurs en fonctions des choix de gouvernances que nous ferons pour adapter nos sociétés à la crise environnementale. De plus il propose de concevoir la technique comme constitutive de nous gouvernements actuels.